La normose (partie 3)

Article publié dans le numéro 9 du magazine Lavida

La normose (partie 3)

Bonjour Guillaume, dans le numéro 7, vous avez choisi de nous faire découvrir le concept de normose dont vous avez commencé à nous décrire les différents types dans le numéro 8 en débutant par la normose standard. Quel est le programme du présent numéro ?

Bonjour Christine, dans ce numéro, je vous propose de finaliser la description de la normose standard. Nous clôturerons ce thème général de la normose dans le prochain numéro en décrivant les 3 sous-types particuliers de la normose standard (la normose standard active (agressive), la normose standard passive (discrète) et la normose standard aggravée) et ouvrirons la voie vers les normoses partielles (débutante, moyenne, avancée). J’invite nos nouveaux lecteurs à se reporter aux précédents numéros 1 pour prendre connaissance des articles précédents. Redonnons en cependant succintement les éléments clés,  pour leur permettre de  raccrocher les wagons :

Nous avons choisi comme définition de la normose, celle du psychiatre suisse Ferdinand Wulliemier  2 :

La normose traduit un développement incomplet de l’être humain qui se manifeste par un ensemble de comportements, d’habitudes et d’attitudes repérables, associé à un sentiment de malaise ou « malheur ordinaire », le plus souvent masqué  par des activités compensatoires utilisées pour faire diversion. En conséquence, le malaise n’est pas reconnu comme problématique : il est généralement ignoré ou tout au plus considéré comme « normal ». La normose affecte, à des degrés divers, un large pourcentage de la population dans le monde.

Pour illustration, nous avons cité le personnage de Néo dans le film Matrix qui chemine de la normose standard vers l’état de libération en passant par la normose partielle.

Toujours selon F.Wulliemier  nous avons « classifié » la normose en terme de formes – agressives NSA, passive NSP et mixte NSM – et de degrés – standard NS, partielle NP ou aggravée NA. Nous avons donc du plus normosé au moins normosé :

  • La normose standard NS avec trois sous types :
    • La forme active, bruyante et agressive
    • La forme passive ou discrète
    • La forme mixte qui combien les 2 précédentes
  • La normose aggravée NA qui est un versant aggravé des formes standards
  • La normose partielles NP (ou allégée)
    • La normose partielle débutante NPD
    • La normose partielle moyenne NPM
    • La normose partielle avancée NPA
  • L’état de libération EL

Nous avons précisé qu’il n’est pas question d’enfermer quiconque dans ces profils types en rappelant  que nous sommes tous plus ou moins normosés à un niveau ou un autre. Au contraire même (et c’est l’intérêt premier de cet article !), la prise de conscience de certains de nos modes de fonctionnement va dans le sens de se libérer de la normose et est en soi déjà un processus libératoire. Nous invitons donc les lecteurs à méditer les points qui pourraient les interpeller dans leurs propres modes de fonctionnement, ou leur rappeler certaines personnalités de leur entourage personnel ou professionnel. La prise de conscience est le premier pas vers la « guérison ».

Enfin, nous avions commencé à décrire le 1er des 16 traits caractéristiques de la normose standard décrits par F.Wuilliemier, point que je ne ferai que rappeler (cf. articles précédent pour plus de précisions) avant d’aborder les 15 autres.

  1. Etre normosé veut dire avant tout se fier principalement aux messages en provenance de nos cinq sens, de nos émotions, de nos désirs et de nos raisonnements intellectuels : 
  • Concernant nos cinq sens, nous avons tendance à croire à tout ce que nous percevons par leur intermédiaire, en oubliant combien ils sont des filtres qui réduisent considérablement notre champ d’exploration de la réalité dite extérieure. L’on sous estime bien souvent l’influence de ces filtres dans nos perceptions. Cela nous amène à survaloriser l’apparence des choses et des êtres. Nous avons ainsi tendance à nous limiter et à survaloriser cette réalité extérieure, matérielle et objective, c’est-à-dire centrée sur les objets. Les dimensions intérieures et subjectives sont beaucoup moins investies, voire négligée en tant que source de compréhension de nous-mêmes, des autres et de la vie : Nous privilégions et nous nous aliénons au monde quantitatif objectivable au détriment du monde qualitatif et subjectif. 
  • Nous accordons beaucoup de valeur et d’importance à nos émotions qui colorent intensément notre vie quotidienne, en particulier lors de nos interactions avec autrui et notre environnement. Notre monde de normosé est profondément contrasté entre ce que nous percevons comme agréable et qui conduit notre désir (joyeux, attirant, plaisant, jouissif…) et désagréable (tristesse, culpabilité, honte…). Nous confondons ainsi agréable/désagréable qui sont des états émotionnels avec positif/négatif qui sont des jugements intellectuels niant le temps et le devenir. De fait, nous vivons avec des normes émotionnelles falsifiées (Cela est somme toute normal dans nos cultures, profondément normosées elles mêmes), limitant ainsi nos possibilités d’évolution vers des stades de conscience supérieurs. Cela participe à nous maintenir dans des mécanismes compulsifs de recherche du plaisir au niveau physique et émotionnel.
  • Le normosé standard accorde également une grande importance à ses connaissances et ses raisonnements intellectuels, sur qu’il est que la réalité est telle qu’il la conçoit par ses constructions mentales ou celles d’une « science » basée sur une vision réduite et uniquement matérialiste de la réalité (il peut en être de même vis-à-vis de la religion) : Il ne fait pas la différence entre la carte et le territoire, entre la théorie et l’expérience directe, entre la lettre et l’esprit, entre la forme et la structure. De plus, comme il pense qu’en accumulant des quantités de connaissances sur telle ou telle chose, il pourra mieux la posséder ou la contrôler, il tend à en accumuler davantage pour renforcer encore son contrôle et obtenir la sécurité illusoire qu’il recherche plus ou moins consciemment.
  • Le normosé à toujours l’esprit vagabond, Il juge, il code à la volée avec ses stéréotypes culturels, il scénarise avec une activité incessante et répétitives ses relations sur la base d’un film dont il est soit le vainqueur, soit le sauveur, soit la victime (Triangle dramatique de Karpmann). Inconscient de cette activité de la « pensée sans repos », d’autant plus qu’il pense que cela est normal, naturel et automatique, il mouline sans cesse. Il est en réalité incapable de penser volontairement à une seule et même chose plus d’une minute entière, tout en étant persuadé qu’il est l’auteur et le maitre de ses pensées : Il croit faire de l’introspection parfois alors qu’il en est en réalité incapable. 
  1. La distinction entre besoins et désirs n’est pas clairement établie. A la différence des besoins (nourriture, eau, vêtements, chaleur), mes désirs sont multiples, souvent contradictoires, infiniment multipliables, insatiables, accompagnés d’inévitables conflits et frustrations. En effet, le plaisir du à la satisfaction d’un désir n’est pas durable et la répétition du processus à pour effet d’augmenter les exigences pour obtenir de moins en moins de plaisir. D’où les déceptions, les colères et les revendications qui limitent la capacité du normosé à partager et à donner, le privant ainsi d’un sentiment plus durable, d’un état de bien être et de joie intérieure, indépendant des circonstances.
  1. Le normosé standard adopte une conception dualiste, avec un sujet qui est « moi », séparé des autres et de son environnement (animaux, objets inanimés, nature, dieu…). Du fait de cette vision séparative, impliquant frustrations et imprévus il vit ses liens le plus souvent dans l’insatisfaction quand ce n’est pas sur le qui vive. En effet, l’autre ne peut en général, ni deviner, ni accepter ses désirs, encore moins les satisfaire, même s’il y met de la bonne volonté ; il peut aussi se montrer désagréable, voir hostile. Ne comprenant pas l’origine de ses insatisfactions, frustrations et autres peurs, il cherche à les compenser en augmentant la quantité de ses interactions, faisant ainsi toujours plus de la même chose. Il devient donc fortement dépendant du temps qui passe tout en luttant contre lui, avec pour résultats qu’il est rarement pleinement impliqué dans l’instant présent, tantôt happé par son passé, comportant regrets et nostalgies, tantôt oscillant entre ses craintes et ses espoirs concernant son avenir incertain. Fréquemment occupé par sa vie fantasmée, il tend à se mettre en « pilotage automatique » pour vaquer à de nombreuses occupations en marchant, en conduisant la voiture, en mangeant, en accomplissant certaines de ses activités professionnelles, etc. Il passe donc une grande partie de ma journée à demi conscient, allant jusqu’à donner l’impression d’un zombie, d’une personne à moitié endormie, le contraire d’un éveillé. Il ne voit que rarement la beauté autour de moi, ne m’émerveille que rarement d’un phénomène naturel, d’un sourire d’enfant, de l’apparition inopinée d’un papillon, etc.

(Nous allons d’ailleurs désormais employer le « Je » pour justement, dépasser une lecture dualiste de ce qu’est la normose et en saisir les clés à l’intérieur de nous par introspection).

  1. En tant que normosé standard donc, je tente de réduire mon insatisfaction chronique, conséquence de la séparation entre ce que je considère comme  « moi » ou « à moi », et ce qui me parait étranger, frustrant voire dangereux : une illusion que maintien la rigidité de mon égo dans le but de se survivre à lui-même. Résultats : je cours à la recherche de sécurités et de plaisirs multiples qui ne sont que de pales substituts à un bonheur inaccessible. Je suis donc rarement conscient de l’ici et maintenant et beaucoup plus souvent en train d’échafauder mon hypothétique futur ou de réviser mon passé, ce qui ne me laisse pas en paix.
  1. Ce ne sont que mes cogitations en état de veille ordinaire qui me permettent de prendre mes décisions. J’ai ainsi l’impression d’être « aux commandes », un sentiment que mon utilisation des technologies modernes contribue à renforcer. Ma conscience se limite à mes pensées affectivées. Je suis persuadé que mon identité est directement liée au fonctionnement de mon cerveau. Le contenu de mes rêves, manifestation de mon inconscient, pourra tout au plus m’intriguer, mais je n’en tiendrai pas sérieusement compte pour tenter de mieux me comprendre ou pour changer quelque chose dans ma vie. Je suis d’accord pour dire avec Descartes « je pense donc je suis », ou pour affirmer que les émotions sont le sel de la vie, sans pouvoir bien faire la différence entre mes émotions mes sentiments et d’éventuelles intuitions.
  1. Si je me vis comme séparé des autres, il est inévitable que je me compare aux autres, ce qui me fait participer aux « malheur ordinaire » : les multiples frustrations de la vie quotidienne, l’envie et la jalousie me guette, car compétition et rivalités m’accompagnent fidèlement dans ma vie professionnelle, sociale et familiale. .. Même si j’ai de la peine à le reconnaitre, je ne me prive pas de juger les autres, parfois en bien, et beaucoup plus souvent, en mal. Le plus souvent, je considère les autres ou l’extérieur comme responsable de mes malheurs : cela va du comportement de certains de mes proches jusqu’à l’incompétence du gouvernement. J’ai donc tendance à vivre dans une sorte de western avec des amis et des complices d’un coté et de l’autre des gens que je n’aime pas. , même si j’hésite à les appeler des ennemis, des imbéciles ou des salauds !
  1. Même si je prétends le contraire, je suis peu tolérant, en particulier aux frustrations de la vie quotidienne. Ma position dans la vie relationnelle est souvent celle du refus. Les interactions avec mes proches ne sont donc pas toujours faciles car je prends souvent le contre pied au cours de conversations dans lesquelles j’aime avoir raison. Mais ce qui me tranquillise, c’est que ce genre de difficulté, semble présent chez tous le monde. J’en ai déduit qu’il y a des gens avec qui on ne peut pas s’entendre et que l’on n’y peut rien changer.
  1. Je suis le plus souvent pressé par les évènements et fait preuve d’une hâte plus ou moins fébrile dans mes multiples activités. Souvent excité, voire agité et confus par trop de précipitation, je m’irrite souvent face aux membres de mon entourage que je trouve trop lents à comprendre ce que je leur explique ou a entreprendre ce que je leur demande. Cela se passe aussi bien au travail qu’en famille, dans mes loisirs, en voiture etc.…
  1. Je me pose rarement des questions sur l’origine et la finalité de la vie, de l’univers, des êtres vivants, des humains, ou même de ma propre vie. Je cherche plutôt à réussir ce que j’entreprends et tout ce qui peut me rendre la vie « agréable », même si je n’y parviens pas mieux que les autres en raison des obstacles que je rencontre et que je situe à l’extérieur.
  1. Je n’aime pas parler de la mort et de ce qu’il pourrait y avoir ou non après. Ces questions métaphysiques ne m’intéressent pas particulièrement : « après la mort, je pense que tout est fini », ou bien, je crois éventuellement qu’il existe une force supérieure sur un mode intellectuel : « je crois en Dieu et me rend quelquefois à l’église ». De toute manière, le normosé correspond au stade de la « méconnaissance » spirituelle décrite par P.Weil : « absence totale de connaissance ou même d’information sur la nature de l’esprit et du réel ». C’est le cas de la grande majorité des êtres humains de notre époque actuelle qui se limitent à croire en leur cinq sens ou en la science et la technologie mécaniste.
  1. Les questions psychologiques ne me passionnent pas non plus. Je ne vois pas l’utilité de m’introspecter comme le font certaines personnes qui analysent leur situation et leurs relations pendant des heures et passent leur temps à se « prendre la tête ». Cela m’ennuie, je préfère l’action.
  1. Je me sens assez bien adapté à l’époque et au milieu dans lequel je vis. Je ne suis pas un marginal. J’ai des amis, des hobbies et plusieurs personnes m’apprécient. Je respecte les lois que je considère comme nécessaires, ainsi que certains usages qui correspondent aux rôles et aux statuts des différents membres de ma communauté et d’une société telle que la notre. Je n’ai pas, comme certains, d’idées originales : je m’informe de ce qui se dit dans les domaines qui m’intéressent et je répète ce que j’ai retenu en regardant la télévision ou en lisant certains journaux.
  1. L’essentiel me semble être de pouvoir jouir de la vie, d’y trouver le plus possible de satisfactions à défaut de bonheur. L’idée prônée par certains que nous serions sur terre pour apprendre et évoluer m’est totalement étrangère.
  1. Comme la vie m’a appris à beaucoup relativiser, je me permets de pratiquer la dérision, de me montrer iconoclaste, ironique et même cynique à mes heures. C’est d’ailleurs un reproche que me font certaines personnes, ce qui ne me dissuade pas de continuer car c’est là un de mes plaisirs.
  1. Je suis d’avis qu’il faut protéger la nature mais « sans exagération ». Je ne vois d’ailleurs pas pourquoi je renoncerais à ma voiture, à prendre l’avion pour aller en vacances, ou me mettrais à trier systématiquement tous mes déchets ménagers et professionnels, du moment que nous avons maintenant des usines performantes pour les incinérer.
  1. Je suis conscient que d’autres dans le monde souffrent plus que moi et il m’arrive de contribuer à une action charitable. J’évite cependant de m’impliquer directement.

A partir du point 9, l’idée qui domine est que le normosé standard vit dans le monde de ses croyances qui servent de protection à son « moi » incomplètement développé et limité. Il n’est dans les faits que peu engagé ou impliqué dans quoi que ce soit d’autre que le fantasme de sa propre vie.et des normes sur ce qu’il croit qu’elle est. Ses normes font son sens.

Bouh ! C’est un peu un monde de « mort vivant » que celui de la normose standard. Même si j’en reconnais certains traits chez moi-même et chez d’autres, je me sens rassurée de ne pas m’y retrouver complètement!

Et cela est souhaitable ! 🙂 Ces 16 points décrivent le noyau dur de la normose. S’il est rassurant de se sentir étranger à certains de ces points et de ressentir cette impression que la normose standard est une espèce de « fausse vie » (la vie dans la matrice dans le film Matrix), je vous invite ainsi que nos lecteurs à pousser l’introspection et méditer sur ceux qui vous concernent éventuellement plus particulièrement.

Vous serez probablement encore davantage rassurée chère Christine dans le futur numéro à la description des formes agressives et aggravées de la normose 🙂 .

🙂

1 : http://lavida-magazine.com/, et https://metaphorm.fr/blog/

2 : « La normose, peut-on s’en libérer ? » Ferdinand Wulliemier. Editions Recto Verseau

 

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